Une
amie me prête un livre, « l’art de la simplicité » de Dominique
Loreau. J’en parcours quelques pages et tombe sur un passage où l’auteur
explique qu’il est important de bien ranger ses vêtements, ses armoires, ses
tiroirs, bref… un petit jeu auquel je ne suis pas vraiment un champion. Elle
explique qu’il faut bien plier les serviettes, les draps, … Finalement ces
actes permettent de se rassurer. La vie que nous vivons est pleine
d’incertitudes, pleine d’événement que nous ne pouvons contrôler. En revanche
nous pouvons nettoyer et ranger notre maison, notre intérieur. Cela nous donne
l’impression d’avoir une forme de contrôle, de prise sur un monde chaotique qui
nous perturbe et risque de nous déstabiliser. Il y a des personnes chez
lesquels ce besoin d’ordre et de propreté devient maladif, obsessionnel. Cette
obsession maniaque leur apporte un réconfort dans leur tourmente psychologique.
La
lecture de ce chapitre du livre de Dominique Loreau m’a ensuite fait penser à
certains pratiquants de karaté. En effet, il y a des personnes qui ont une
attitude un peu (pour ne pas dire beaucoup…) extrémiste vis-à-vis de la
technique. C'est-à-dire qu’ils sont absolument intransigeants avec les autres
et aussi avec eux-mêmes. L’orientation du pied arrière doit absolument être à
30,5°, l’écartement des jambes de tant de centimètres, tel passage d’un kata se
fait exactement d’une manière et non pas d’une autre, … En fait, il n’y a pas
de place pour la singularité, la personnalité, la créativité ou l’adaptabilité.
Ces personnes on finalement besoin d’être rassurées, tout autant que la
personne qui range son linge proprement, impeccablement. L’illusion de
maîtriser tout les aspects d’une technique leurs font croire que part ce biais
ils maîtrisent tous les aléas d’une pratique non codifiée. Mais comment peut-on
croire qu’en maîtrisant une technique superficiellement, uniquement de
l’extérieur, on peut maîtriser une situation duelle, le combat, où il n’y a
aucune règle ? Justement l’art du combat c’est de ne jamais se figer, d’être
toujours dans le mouvement, l’adaptation, la créativité. L’art du combat c’est
aussi gérer ses émotions, entrer en communication, en connexion avec un autre.
Ainsi il est plus rassurant de croire qu’on peut diriger à notre guise le monde
chaotique du combat en ayant une attitude maniaque et obsessionnelle à l’égard
de la technique. Mais j’entends déjà des gens protester « la technique
c’est tout de même important ! ». Je ne dis pas le contraire. La
technique c’est effectivement important mais ce n’est pas une finalité. La
technique est un moyen pour éduquer son corps, son esprit. C’est un moyen pour
développer le sens du combat, sa capacité à entrer en communication, en
connexion avec l’autre. Comment peut-on avoir la prétention de maîtriser
l’autre quand on n’arrive pas à se maîtriser soi-même ? A l’instar de
l’écriture, la technique est comme les mots, la syntaxe, la grammaire. Mais les
mots n’ont d’intérêt que par le sens que l’auteur veut exprimer à travers eux.
C’est pourquoi je suis persuadé que ceux qui s’attachent obsessionnellement à
la forme technique, c'est-à-dire à la surface de notre discipline, sont des
personnels qui manquent de fond. Ainsi donc, à défaut de pouvoir travailler sur
le fond, ils restent en surface.
Lors
des formations d’enseignants j’ai souvent constaté ce phénomène chez les
apprentis professeurs. Ces derniers ont très peu de connaissances dans leur
discipline, je ne parle pas en terme de quantité de techniques mais plutôt de
la connaissance des principes qui les régissent. Ainsi donc, quand ils
conçoivent pour la première fois un cours, leur intervention reste sur la
forme. Le plus simple leur semble d’enseigner des techniques de base à des
débutants. Mais à leur grande surprise j’interviens pour corriger. En effet, comme
ils ont des défaillances dans la compréhension profonde de leur discipline,
cela se reflète dans l’enseignement de mouvements a priori simples. Ils
comprennent alors que la simplicité avec laquelle leur professeur leur a
enseigné le karaté est le reflet d’une longue expérience et d’une profonde
réflexion. La vraie simplicité, l’aisance, sont le fruit d’un travail et d’une
recherche. On le voit bien dans l’esprit Zen japonais.
Le
fait de s’accrocher à du solide, la technique par exemple est l’expression
d’une résistance. On ne veut pas lâcher. Je pense qu’une des grandes leçon que
la vie nous impose, avec plus ou moins de douleur, c’est que la liberté et le
bonheur ne peuvent exister que dans le lâcher prise. Nous utilisons beaucoup
d’énergie et de temps à nous cramponner à notre branche et avons peur de la
lâcher. Si je lâche, que vais-je devenir ? Si je lâche que va-t-on penser
de moi ? Si je lâche où vais-je tomber ? Vais-je me faire mal ?
Vais-je mourir ? Et on continue à s’accrocher en se posant ces questions
et bien d’autres au lieu de nous laisser aller dans le flot de la vie de la
même manière que le karatéka doit se laisser aller dans le flot du combat, de
l’échange. Finalement peut-être peut-on résumer tout cela par la peur. Nous
passons notre vie à avoir peur, peur de choses que nous élaborons dans nos
pensées. Nous nourrissons nos propres peurs.
Dans
mes premières années de pratique je me suis entraîné dix ans, sans jamais
m’arrêter une seule journée. J’étais alors submergé par mon obsession. Je
pensais que si je m’arrêtais un seul jour je risquais de perdre tout ce que
j’avais appris, de ne plus retrouver les sensations que j’avais acquises par
beaucoup de travail et des difficultés, car je ne suis pas doué à la base. Puis
j’ai commencé à enchaîner les blessures. J’étais tout le temps blessé. Par ces
blessures, mon corps et mon inconscient m’envoyaient un message :
« il faut que tu apprennes à te reposer, tu peux t’arrêter un peu et
profiter des autres aspects de la vie. ». Bien sûr, à cette époque je n’avais
pas conscience de ce phénomène, ni une analyse claire de ce qui m’arrivait. Aujourd’hui
je suis persuadé qu’il s’agissait d’un message pour m’apprendre à lâcher prise,
arrêter de me prendre la tête avec des croyances erronées. Si je n’avais pas écouté
les signaux de mon corps, de la douleur, peut-être qu’aujourd’hui je ne
pourrais plus pratiquer le karaté. Mon inconscient m’aurait forcé à lâcher
prise d’une manière ou d’une autre.
Ce
qui m’est arrivé, j’ai pu le constater dans l’histoire d’autres personnes. Que
ce soit des amis, des élèves ou des jeunes dont j’avais la charge dans le cadre
de mon métier d’éducateur. Il est préférable de lâcher prise avant que la vie
ne se charge de nous apprendre à le faire. La vie nous guide vers la voie de la
souplesse (jûdô en japonais), vers le lâcher prise comme l’indiquent aussi les
idéogrammes du terme karaté (main vide, en ouvrant la main nous lâchons ce que
nous tenons et la main est alors vide) En vieillissant je me dis que peut-être
que l’ultime chance d’apprendre à le faire est le moment où notre corps en
cessant d’être animé nous arrache à cette vie.
Bonjour Areski,
RépondreSupprimerJe découvre ton blog aujourd'hui. Je tiens à te féliciter pour la clarté et la pertinence de ton propos sur le "lâcher prise". Je me suis reconnu comme faisant partie des "personnes qui ont une attitude un peu (pour ne pas dire beaucoup…) extrémiste vis-à-vis de la technique. (...) et qui on finalement besoin d’être rassurées".
Je suis un "cérébral" et le combat me pose précisément des problèmes car j'ai du mal à trouver un juste milieu entre réflexion intense, volonté de perfection (et donc attaques "téléphonées" aussitôt contrées) et relâchement (et donc perte de vigilance et vulnérabilité).
Je pratique depuis un an et demi et je sens que je plafonne en combat quand je vois d'autres progresser rapidement. Aurais-tu des conseils à me donner ? Je t'en remercie par avance.
Emmanuel