lundi 4 juin 2012

L'art de la simplicité


Une amie me prête un livre, « l’art de la simplicité » de Dominique Loreau. J’en parcours quelques pages et tombe sur un passage où l’auteur explique qu’il est important de bien ranger ses vêtements, ses armoires, ses tiroirs, bref… un petit jeu auquel je ne suis pas vraiment un champion. Elle explique qu’il faut bien plier les serviettes, les draps, … Finalement ces actes permettent de se rassurer. La vie que nous vivons est pleine d’incertitudes, pleine d’événement que nous ne pouvons contrôler. En revanche nous pouvons nettoyer et ranger notre maison, notre intérieur. Cela nous donne l’impression d’avoir une forme de contrôle, de prise sur un monde chaotique qui nous perturbe et risque de nous déstabiliser. Il y a des personnes chez lesquels ce besoin d’ordre et de propreté devient maladif, obsessionnel. Cette obsession maniaque leur apporte un réconfort dans leur tourmente psychologique.

La lecture de ce chapitre du livre de Dominique Loreau m’a ensuite fait penser à certains pratiquants de karaté. En effet, il y a des personnes qui ont une attitude un peu (pour ne pas dire beaucoup…) extrémiste vis-à-vis de la technique. C'est-à-dire qu’ils sont absolument intransigeants avec les autres et aussi avec eux-mêmes. L’orientation du pied arrière doit absolument être à 30,5°, l’écartement des jambes de tant de centimètres, tel passage d’un kata se fait exactement d’une manière et non pas d’une autre, … En fait, il n’y a pas de place pour la singularité, la personnalité, la créativité ou l’adaptabilité. Ces personnes on finalement besoin d’être rassurées, tout autant que la personne qui range son linge proprement, impeccablement. L’illusion de maîtriser tout les aspects d’une technique leurs font croire que part ce biais ils maîtrisent tous les aléas d’une pratique non codifiée. Mais comment peut-on croire qu’en maîtrisant une technique superficiellement, uniquement de l’extérieur, on peut maîtriser une situation duelle, le combat, où il n’y a aucune règle ? Justement l’art du combat c’est de ne jamais se figer, d’être toujours dans le mouvement, l’adaptation, la créativité. L’art du combat c’est aussi gérer ses émotions, entrer en communication, en connexion avec un autre. Ainsi il est plus rassurant de croire qu’on peut diriger à notre guise le monde chaotique du combat en ayant une attitude maniaque et obsessionnelle à l’égard de la technique. Mais j’entends déjà des gens protester « la technique c’est tout de même important ! ». Je ne dis pas le contraire. La technique c’est effectivement important mais ce n’est pas une finalité. La technique est un moyen pour éduquer son corps, son esprit. C’est un moyen pour développer le sens du combat, sa capacité à entrer en communication, en connexion avec l’autre. Comment peut-on avoir la prétention de maîtriser l’autre quand on n’arrive pas à se maîtriser soi-même ? A l’instar de l’écriture, la technique est comme les mots, la syntaxe, la grammaire. Mais les mots n’ont d’intérêt que par le sens que l’auteur veut exprimer à travers eux. C’est pourquoi je suis persuadé que ceux qui s’attachent obsessionnellement à la forme technique, c'est-à-dire à la surface de notre discipline, sont des personnels qui manquent de fond. Ainsi donc, à défaut de pouvoir travailler sur le fond, ils restent en surface.
Lors des formations d’enseignants j’ai souvent constaté ce phénomène chez les apprentis professeurs. Ces derniers ont très peu de connaissances dans leur discipline, je ne parle pas en terme de quantité de techniques mais plutôt de la connaissance des principes qui les régissent. Ainsi donc, quand ils conçoivent pour la première fois un cours, leur intervention reste sur la forme. Le plus simple leur semble d’enseigner des techniques de base à des débutants. Mais à leur grande surprise j’interviens pour corriger. En effet, comme ils ont des défaillances dans la compréhension profonde de leur discipline, cela se reflète dans l’enseignement de mouvements a priori simples. Ils comprennent alors que la simplicité avec laquelle leur professeur leur a enseigné le karaté est le reflet d’une longue expérience et d’une profonde réflexion. La vraie simplicité, l’aisance, sont le fruit d’un travail et d’une recherche. On le voit bien dans l’esprit Zen japonais.
Le fait de s’accrocher à du solide, la technique par exemple est l’expression d’une résistance. On ne veut pas lâcher. Je pense qu’une des grandes leçon que la vie nous impose, avec plus ou moins de douleur, c’est que la liberté et le bonheur ne peuvent exister que dans le lâcher prise. Nous utilisons beaucoup d’énergie et de temps à nous cramponner à notre branche et avons peur de la lâcher. Si je lâche, que vais-je devenir ? Si je lâche que va-t-on penser de moi ? Si je lâche où vais-je tomber ? Vais-je me faire mal ? Vais-je mourir ? Et on continue à s’accrocher en se posant ces questions et bien d’autres au lieu de nous laisser aller dans le flot de la vie de la même manière que le karatéka doit se laisser aller dans le flot du combat, de l’échange. Finalement peut-être peut-on résumer tout cela par la peur. Nous passons notre vie à avoir peur, peur de choses que nous élaborons dans nos pensées. Nous nourrissons nos propres peurs.
Dans mes premières années de pratique je me suis entraîné dix ans, sans jamais m’arrêter une seule journée. J’étais alors submergé par mon obsession. Je pensais que si je m’arrêtais un seul jour je risquais de perdre tout ce que j’avais appris, de ne plus retrouver les sensations que j’avais acquises par beaucoup de travail et des difficultés, car je ne suis pas doué à la base. Puis j’ai commencé à enchaîner les blessures. J’étais tout le temps blessé. Par ces blessures, mon corps et mon inconscient m’envoyaient un message : « il faut que tu apprennes à te reposer, tu peux t’arrêter un peu et profiter des autres aspects de la vie. ». Bien sûr, à cette époque je n’avais pas conscience de ce phénomène, ni une analyse claire de ce qui m’arrivait. Aujourd’hui je suis persuadé qu’il s’agissait d’un message pour m’apprendre à lâcher prise, arrêter de me prendre la tête avec des croyances erronées. Si je n’avais pas écouté les signaux de mon corps, de la douleur, peut-être qu’aujourd’hui je ne pourrais plus pratiquer le karaté. Mon inconscient m’aurait forcé à lâcher prise d’une manière ou d’une autre.
Ce qui m’est arrivé, j’ai pu le constater dans l’histoire d’autres personnes. Que ce soit des amis, des élèves ou des jeunes dont j’avais la charge dans le cadre de mon métier d’éducateur. Il est préférable de lâcher prise avant que la vie ne se charge de nous apprendre à le faire. La vie nous guide vers la voie de la souplesse (jûdô en japonais), vers le lâcher prise comme l’indiquent aussi les idéogrammes du terme karaté (main vide, en ouvrant la main nous lâchons ce que nous tenons et la main est alors vide) En vieillissant je me dis que peut-être que l’ultime chance d’apprendre à le faire est le moment où notre corps en cessant d’être animé nous arrache à cette vie.

1 commentaire:

  1. Bonjour Areski,
    Je découvre ton blog aujourd'hui. Je tiens à te féliciter pour la clarté et la pertinence de ton propos sur le "lâcher prise". Je me suis reconnu comme faisant partie des "personnes qui ont une attitude un peu (pour ne pas dire beaucoup…) extrémiste vis-à-vis de la technique. (...) et qui on finalement besoin d’être rassurées".
    Je suis un "cérébral" et le combat me pose précisément des problèmes car j'ai du mal à trouver un juste milieu entre réflexion intense, volonté de perfection (et donc attaques "téléphonées" aussitôt contrées) et relâchement (et donc perte de vigilance et vulnérabilité).
    Je pratique depuis un an et demi et je sens que je plafonne en combat quand je vois d'autres progresser rapidement. Aurais-tu des conseils à me donner ? Je t'en remercie par avance.
    Emmanuel

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