Je suis arrivé à Fukuoka il y a quelques jours. C’est
une ville qui se situe au sud du Japon sur l’île de kyûshû. Depuis ce jour,
pour me rendre à la gare, je traverse un temple shinto, situé dans le quartier
de Sumiyoshi. A chacune de mes visites le temple est calme et toujours bien
entretenu. D’ailleurs chaque matin je croise une personne, probablement un
prêtre, qui nettoie le sol avec un râteau fait de lamelles de bambou. En
fonction de l’heure de mon passage, cette personne est plus ou moins avancée
dans son travail. Ce qui m’impressionne c’est la surface qu’il y a à couvrir,
et pourtant chaque matin, même le week-end, il s’adonne à cet entretien du
temple.
Aujourd’hui c’est dimanche et comme à mon habitude je
prends le raccourci par le temple de Sumiyoshi pour me rendre à la gare.
Contrairement aux autres jours, le lieu est animé. Il y a du monde qui
s’affaire, j’entends aussi des hauts parleurs qui diffusent des appels dont je
n’arrive pas à identifier la signification. C’est quand j’arrive à la hauteur
de l’aire de combat de sumo que je m’aperçois que les festivités se déroulent à
cet endroit.
Quelques jours auparavant, j’avais bien vu une
personne entretenir l’aire de combat. Mais je n’imaginais pas que c’était pour
cet évènement. Des sumos sont alignés près de l’air de combat, semblant
attendre leur tour. Ma première idée est qu’il doit y avoir un tournoi de sumo
aujourd’hui. Pourtant, en dirigeant mon regard sur l’espace destiné aux
affrontements, je ne vois pas de joute. En revanche, deux sumo-tori (pratiquant
de sumo) sont sur la surface de combat mais au lieu de se faire face, ils
portent chacun un petit enfant dans leurs bras. C’est une cérémonie appelée
nakizumo. Naki veut dire pleurer et zumo vient de sumo.
Il parait qu’au Japon un enfant
qui pleure est un enfant en bonne santé. C’est pourquoi durant cette cérémonie,
les sumos portent des enfants dans leurs bras et les secouent pour les faire
pleurer. La cérémonie est officiée par un prêtre shinto, en l’occurrence
aujourd'hui une femme.
Cette cérémonie ne semble
pourtant pas courante au Japon mais spécifique au temple de Sumiyoshi m’a-t-on
dit.
J’ai effectivement vu des
enfants terrorisés qui pleuraient. Les parents contents du résultat allaient
ensuite remercier le sumo porteur pour lui donner une récompense. On peut
s’interroger sur le bien fondé de cette tradition qui consiste à faire pleurer
les enfants. Mais que l’on ne s’y trompe pas, cette manière de penser n’est pas
unique à cette cérémonie et au Japon. Notre société moderne a plutôt tendance à
favoriser « l’endurcissement » des enfants pour les préparer
soi-disant à une vie d’adulte qui n’est pas le monde des bisous-nours. Ainsi,
le modèle de la compétition est mis en place dès le plus jeune âge, propageant
l’idée que nous sommes faits pour la rivalité. Nous confrontons les enfants aux
problèmes des adultes alors qu’ils ne sont même pas entrés à l’école. Dès le
cours préparatoire, les parents transmettent leur angoisse de l’échec à leur
progéniture. Le spectre du chômage est déjà présent dans la vie de ces tendres
têtes blondes, les éloignant déjà de l’enfance alors qu’ils viennent presque de
naître. Les garçons n’ont pas le droit d’exprimer leurs sentiments et à ce
titre ne doivent pas pleurer et toujours paraître forts. A travers le monde
nous faisons violence aux enfants en leur faisant subir des épreuves difficiles
dans l’espoir qu’ils seront ainsi armés pour l’âge adulte. Il n’y a finalement
pas que les sumos qui font pleurer les enfants. Mais cette exposition des
enfants aux difficultés de la vie adulte dès le plus jeune âge est-elle
vraiment nécessaire ? Peut-on envisager un monde basé sur d’autres valeurs
que la compétition, la concurrence, l’exclusion, la ségrégation, la
division ?
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