dimanche 6 mai 2012

Qui est le plus fort ?


La question revient sans cesse chez le néophyte mais aussi parfois chez le pratiquant de longue date : « quelle est la technique la plus efficace ? », « Quelle est la discipline supérieure aux autres ? ».
Cette question ne se pose jamais dans le cadre d’autres disciplines tel que les sports de ballon par exemple. En effet, il ne viendrait à l’idée de personne de savoir si un joueur de football est supérieur à un rugbyman, un basketteur meilleur qu’un handballeur. Pourtant dans les arts martiaux la question est sous-jacente même si elle n’est pas toujours clairement exprimée. C’est pourquoi, même si ce débat peut sembler puéril, il me semble malgré tout important de l’aborder. Les lecteurs de ce blog ne sont pas tous des pratiquants et il me semble légitime que certains puissent se poser ce genre de question.

Il y a deux aspects qui méritent d’être éclaircis. Le premier est la notion d’efficacité. En effet, ce thème est récurent dans le domaine des arts martiaux puisque nous évoluons dans l’univers des méthodes de combat. En apparence il y a donc dualité, affrontement, il est donc logique de penser qu’il doit y avoir un vainqueur. Alors, qu’est-ce que l’efficacité ? La réponse est simple, être efficace c’est atteindre son objectif. En fonction du but que l’on se donne on peut donc mesurer son efficacité. Ainsi donc, si je veux éviter de me battre, je suis efficace lorsque j’agis en conséquence. Si mon but est de devenir champion, le jour où j’obtiens mon titre j’ai atteint mon objectif, je suis donc efficace. Ainsi donc, l’efficacité est mesurable en fonction de la cible que l’on se fixe. La cible peut être toujours la même ou bien se déplacer, en fonction de notre motivation, de notre degré d’évolution, de la période de notre carrière, etc.
La notion d’efficacité n’a rien d’absolue. On peut atteindre un objectif un jour et pas le suivant. Il est aussi illusoire de penser que les capacités que nous développons sont toujours disponibles à 100% et à tous moments. Nous comprenons tous qu’un recordman du 100 mètres n’est pas en capacité d’égaler son temps record tous les jours. Bien qu’il détienne le record du monde, il n’est pas le plus rapide des hommes de la planète à chaque heure.
La nature du but à atteindre peut varier d’un individu à l’autre. Bien que beaucoup de personnes pratiquent le même art martial, le karaté par exemple, chaque individu porte en lui une motivation qui lui est propre. Ainsi l’objectif de la pratique est pluriel. Une même personne peut aussi avoir des objectifs différents tout au long de sa carrière de pratiquant. Ainsi donc, on comprend bien qu’ériger « l’efficacité » comme un but ultime est tout à fait illusoire, irraisonnable et puéril. Cette recherche d’efficacité qui fait parfois tant rêver est à mettre en relation avec la recherche de la toute puissance. Il s’agit d’un fantasme, celui d’une efficacité absolue et totale. C’est le désir d’être invincible, de n’avoir aucune faiblesse qui pourrait être exploitée par un autre pour être à l’abri de toute attaque, de toute menace. C’est aussi l’envie d’exercer un pouvoir sur les autres, une volonté de domination. Cette voie est le chemin de la frustration car c’est une illusion. Cette illusion peut mener à la folie, celle qui guide les pas des dictateurs. Maître Funakoshi disait aux élèves qui venaient le voir qu’il fallait apprendre à être faible. Les élèves qui pratiquaient le karaté sous sa férule étaient déconcertés car ils avaient choisis de faire du karaté dans le but de devenir fort, très fort… Tant que l’on n’est pas conscient de ses faiblesses, la pratique d’un art martial est superficielle.

Le deuxième aspect relève de la magie. La quête d’une technique supérieure à toutes les autres, la technique magique.. La technique est alors perçue comme une finalité et l’on oublie qu’elle n’est qu’un outil. C’est celui qui le manie qui par sa dextérité, son expertise et son intelligence en fait un objet utile. C’est la main qui manie l’outil qui permet de créer une œuvre. Lors d’un débat télévisé qui regroupait plusieurs grands experts d’arts martiaux sur un plateau, la question de la discipline la plus efficace avait été posée. C’est un jeune adolescent d’une quinzaine d’année qui, alors que les experts se chamaillaient, a fait preuve de la plus grande sagesse et de la meilleure analyse en disant que c’est le pratiquant qui donne la valeur à la technique et non l’inverse. La technique n’est qu’un moyen qui permet au pratiquant de comprendre des principes, elle enseigne comment libérer son corps pour le rendre disponible, fluide et libre pour s’adapter au mieux à différentes situations d’agression.

Quel que soit l’art martial que l’on pratique, avec ou sans contact, il s’agit toujours d’une simulation. On ne sait pas dans quelles circonstances nous seront amenés à sauver notre vie si un jour l’occasion se présente. Le danger peut être rencontré en conduisant une voiture lors d’un accident potentiel, en marchant dans la rue en évitant la chute d’un objet venant de très haut, dans une fusillade, … En réalité, aucune technique ne nous prépare vraiment à ce genre de situation. Seule notre intuition peut nous permettre d’anticiper sur de tels évènements et d’avoir l’action juste au moment juste. C’est pourquoi dans les arts martiaux la forme n’est pas une finalité en soi. La technique n’est qu’un creuset dans lequel on développe des capacités bien plus fondamentales. Ces capacités peuvent bien sûr nous sauver la vie, mais elles peuvent aussi nous aider au quotidien pour faire les bons choix. L’art martial est avant tout un moyen pour être réellement soi-même et non pas se mesurer aux autres. L’autre peut aussi nous aider à nous connaître, à nous dépasser, mais il n’est jamais un adversaire. C’est pourquoi les arts martiaux japonais insistent sur la courtoisie, le respect et la politesse qui s’expriment lors du salut.

Ainsi donc la recherche d’efficacité est une illusion. Celle-ci est bien entretenue et est aussi un fond de commerce qui permet à certains de prospérer. Bien sûr, nombreux sont ceux qui viennent aux arts martiaux pour apprendre à se défendre. Dans leur évolution ils comprennent qu’il n’y a pas d’efficacité absolue et que quel que soit leur niveau ils ne seront jamais à l’abri d’être en danger mortel. C’est pourquoi la modestie est importante et qu’il est toujours préférable d’éviter le combat quand cela est possible. La recherche de puissance n’est que l’expression de notre Ego. La voie des arts martiaux japonais vise à l’extinction de l’Ego, ou du moins à se libérer de sa dictature. Il n’existe donc pas d’efficacité absolue, mais la possibilité de devenir vraiment soi-même et de vivre avec les autres en paix et en harmonie.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire