mercredi 4 avril 2012

Relation maitre/disciple

Dans les arts martiaux on fait souvent référence au maître. Il m’est arrivé plusieurs fois que des élèves me demandent si j’étais un maître… Ce terme me gêne beaucoup car il y a souvent un malentendu dans sa signification. Si en escrime le professeur est appelé « maître d’arme », cela est bien admis et fait partie de notre tradition martiale occidentale. Il n’y a pas alors d’ambiguïté. Pourtant, dès que l’on aborde les arts martiaux venant d’Asie et notamment du Japon, il en est tout autre. Cela tient probablement du fait que ces disciplines sont intimement liées à une démarche spirituelle. Le terme « dô » que l’on trouve dans aiki-do, karate-do, ju-do, ken-do, kyu-do, etc. fait référence au chemin que le pratiquant empreinte pour s’élever spirituellement. Cette démarche spirituelle est inspirée par le bouddhisme Zen.
La recherche peut être résumée ainsi : il s’agit d’arrêter de nourrir l’Ego en vivant l’instant présent, arrêter d’être submergé par le mental qui nous empêche de vivre véritablement la dimension réelle de notre être. Je ne souhaite pas dans ce post décrire la démarche Zen mais simplement faire comprendre au lecteur le lien étroit qu’il existe dans les arts martiaux japonais entre la pratique corporelle et le Zen. Ainsi donc, lorsque dans les arts martiaux japonais on fait référence au maître, une ambiguïté se fait jour. Parle-t-on simplement de maîtrise technique comme c’est le cas pour le maître d’arme en escrime, ou bien fait-on référence à la réalisation spirituelle du professeur ? Le maître de karaté est-il aussi un gourou ?

Le terme « gourou » hautement respecté en Inde est mal compris en occident et est principalement associé au phénomène des sectes. On y voit la domination d’un individu sur des sujets qui seraient manipulés. Ainsi donc, il y a chez l’occidental une vision de la relation maître/disciple qui est de l’ordre d’une relation maître/esclave. En Orient, le maître, le gourou n’est rien de tout ça. C’est un ami spirituel avec lequel le disciple peut faire l’expérience d’une communication authentique et mutuelle. Cette communication se fait au même niveau. Le maître ne se place pas au dessus du disciple. Il n’y a pas un serviteur et un maître mais deux individus qui communiquent sur un pied d’égalité. C’est pourquoi le terme « ami spirituel » est peut-être mieux approprié. Le gourou, le maître, ne cherche pas à tirer profit du disciple.

C’est parce que nous occidentaux interprétons mal le terme de maître, parce que nous avons tendance à lui donner une connotation qui est de l’ordre de la domination, qu’il me semble dangereux d’utiliser cette terminologie.
Les japonais utilisent le terme « sensei » que nous avons parfois tendance à traduire par maître. Mais en réalité, il n’existe pas vraiment de terme pour traduire correctement ce mot japonais. Sensei 先生 se compose de deux idéogrammes. Le premier (sen) veut dire « devant, antérieur, d’abord ». Le deuxième idéogramme, (sei) veut dire « naître, vivre ». Ainsi donc, le terme sensei fait référence à une personne qui a vécu quelque chose avant nous. Il y a donc la notion que la personne a une expérience à partager. Il s’agit d’une personne comme les autres, elle n’a aucun pouvoir. Cette personne a juste le mérite d’avoir parcouru un certain chemin dans un domaine et qu’elle est en mesure d’éclairer ce sentier avec une la lampe de l’expérience. Libre à l’élève de profiter de cette lueur pour se faire sa propre expérience et avancer sur son propre chemin.

Il y a toujours un écueil lorsque nous utilisons des termes japonais dont nous ne maîtrisons pas la signification. Il est tout aussi dangereux d’utiliser des traductions qui sont souvent à la base erronées ou réductrices. Quand une personne vient me parler de « son maître » je suis toujours circonspect. Je me demande toujours ce que cette personne met dans cette relation. J’ai toujours peur qu’il ne se cache dans ce lien quelque chose de malsain. Si les arts martiaux peuvent être un moyen de développer sa spiritualité, il ne faut pas croire que ceux qui arrivent à un haut niveau technique sont aussi des personnes avancées spirituellement. Il y a ici une confusion que le mot « maitre » rend possible. Il me semble que chez l’occidental qui appelle un expert d’arts martiaux « maitre », il y ait une attente inexprimée qui dépasse l’aspect technique.
Quelle est votre relation avec votre professeur ? Que pensez-vous de ceux qui entretiennent une relation maître/disciple ? Est-ce votre cas ?

2 commentaires:

  1. Bonjour Areski,
    Je comprends ce que tu veux dire. Il m’est arrivé d’employer le terme de « maître » en discutant avec des non-pratiquants et à chaque fois, cela interpelle. Or, je voulais simplement signifier que mon professeur détient une plus grande « maîtrise » technique et spirituelle que moi, et en aucun cas, je n’inclue dans ce terme d’idée de hiérarchie. Je respecte mon professeur parce que ses compétences sont respectables et non parce la relation de maître à élève l’impose. De plus, il y a une volonté de s’approcher au plus près de la pratique traditionnelle. Il serait d’ailleurs plus logique de dire simplement « sensei », mais discuter avec des non-initiés nécessite une traduction, aussi imparfaite soit –elle. Mais ces arguments ne valent que parce que je suis adulte et que l’emploi de ce mot découle d’un choix raisonné. Cela dit, tu as raison, il y a là une attente supplémentaire liée à l’aspect spirituel, mais sans cela pourquoi pratiquer un art martial et non un simple sport de combat ?
    La question se pose différemment pour les enfants. J’en connais qui désignent leur professeur ainsi et je me demande s’il s’agit là de l’application d’une tradition, dûment expliquée et comprise ou bien si c’est un moyen d’asseoir une autorité qui ne coule pas de source. Mais dans le deuxième cas, difficile de jeter la pierre. La tâche d’enseigner à des enfants est délicate. Parfois (souvent ?), les débutants se tournent vers les arts martiaux attirés par leur potentiel violent. Ils veulent « apprendre à se battre ». La pratique va rapidement rectifier le tir, et les élèves choisiront ou non de poursuivre, mais ce que je veux dire c’est que certains débutants ont un profil « rebelle » et que le professeur se doit de les cadrer efficacement. Bien sûr il est de loin préférable que cela se fasse grâce à une autorité naturelle et non par une hiérarchisation imposée, mais c’est sans doute plus facile à dire qu’à faire…
    En conclusion, l’emploi du terme « maître » en tant que traduction de « sensei » ne me choque pas, à condition qu’il soit expliqué comme « détenteur d’une maîtrise supérieure » et non comme « individu ayant le pouvoir d’imposer sa volonté à d’autres ».
    Céline.

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  2. Les enfants m'appellent aussi "maitresse" parfois... C'est le langage scolaire...

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