dimanche 4 décembre 2011

Et après la forme... ?

Mes responsabilités fédérales m’amènent à former les futurs professeurs de karaté dans la ligue du Val-de-Marne. Cela me donne donc l’occasion de côtoyer et d’échanger avec des pratiquants confirmés qui souhaitent se lancer dans l’enseignement. J’ai remarqué que beaucoup d’entre eux se focalisent principalement sur l’apprentissage de la forme, et ce, de manière assez superficielle. Cet enseignement est somme toute assez facile à transmettre. Mais une fois cette étape passée, que peut-on apporter aux élèves ? Chez les adultes, apprendre un mouvement est finalement assez rapide. L’enseignement consisterait-il donc à faire répéter indéfiniment des mouvements appris en quelques semaines ?

La forme est un aspect de la pratique. Le geste technique n’est que la résultante de différentes étapes mentales qui sont en amont du geste final. L’acte moteur comprend une phase de perception où l’on identifie le danger, c'est-à-dire l’attaque adverse. Puis il y a la phase d’analyse et de décision où le pratiquant va décider de la réponse à apporter à l’agression. Une fois la réponse choisie, le pratiquant va exécuter le mouvement. Ainsi donc, l’exécution du mouvement, sa justesse technique, ne sont pas suffisants pour acquérir une réelle efficacité. A l’issue de ces trois étapes qui consituent l’acte moteur, il y a l’étape de vérification ou feed-back dans laquelle on vérifie si la solution mise en œuvre permet bien de répondre au problème posé. C’est-à-dire si nous avons opté pour la bonne réponse. Ainsi donc, le véritable apprentissage en ce qui nous concerne, consiste à trouver une solution technique à un problème posé : l’agression. Si l’on ne prend pas en compte dans l’enseignement l’éducation aux deux premières phases que sont la perception et l’analyse/décision, il y a peu de chance d’arriver rapidement à une efficacité dans son karaté.
Ensuite, j’ai remarqué que peu d’enseignants proposent à leurs élèves des outils pour prendre conscience des paramètres essentiels à la progression et à la maîtrise de notre art martial. En effet, comment peut-on toucher du doigt des notions comme la connexion, l’unité corporelle, l’unité corps esprit, le centrage, l’enracinement, … ?
Parmi les élèves, il y a toujours ceux qui sont doués et qui, malgré un enseignement limité, arrivent à progresser et devenir de bons pratiquants. Pour les autres, c’est l’échec assuré et s’ensuivent le dégoût et finalement l’abandon. Ces élèves pourraient pourtant aussi progresser si seulement on leur proposait des outils. Ce qui est à mon avis le rôle de l’enseignant. Devenir enseignant nécessite une compréhension profonde de sa discipline, il ne s’agit pas simplement de montrer une forme et de savoir compter jusqu’à dix. Devenir enseignant n’est pas simplement respecter la règle des trois k (KKK : kihon, kata, kumite). Les formations permettent d’aider ceux qui souhaitent gravir les marches de l’enseignement de prendre conscience de cela et de s’emparer d’outils qui vont leur permettre eux-mêmes de progresser pour apporter à leurs élèves la forme et le fond. Ces outils n’ont de valeur que s’ils sont utilisés et si le prétendant au titre d’enseignant accepte d’apprendre à les utiliser. Il y a ici une forme d’humilité à avoir, cette humilité qui nous permet d’apprendre. Comment peut-on remplir un verre d’eau si celui-ci est déjà plein ?
C’est dans ce travail en profondeur que le pratiquant va découvrir de nouvelles facettes de sa discipline et surtout mieux se connaître. C’est en dépassant le superficiel qu’il va trouver de nouvelles sensations qui vont l’aider progressivement, au fil des années, à évoluer du travail externe vers le travail interne. C’est aussi dans cette démarche, ce long cheminement que le pratiquant va pouvoir, si cela l’intéresse, aborder une dimension qui est de l’ordre du développement personnel, voire même spirituel. Si le karaté se limite à casser des briques ou à prendre part à des tournois, il ne mérite pas à mon sens la dénomination d’art martial. L’art martial doit permettre la mutation de l’individu, c’est un creuset où le processus alchimique peut s’opérer. Le plomb peut devenir or.

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