vendredi 4 mars 2011

Esprit - Technique - Corps


Je vous propose une réflexion sur le principe Shin-Gi-Tai. Pour commencer, je vous invite à découvrir un article de Yves Cadot parut dans Judo magazine 184 en mars 2000. Ensuite je vous propose une analyse personnelle de ce même principe.

Shin, Gi et Tai correspondent à trois éléments unis dans la pratique mais distincts dans la conceptualisation. Leur ordre de présentation ne présume en rien de leur priorité ou importance : les isoler permet avant tout l’analyse de leurs interdépendances.

Shin
Le caractère Shin (), qui peut également se lire kokoro, est une représentation stylisée du cœur (l’organe) dont il a également le sens. Mais l’image véhiculée est celle du centre d’un système qui irrigue jusqu’au plus petit des vaisseaux sanguins, jusqu’à la moindre cellule puis qui recueille, retraite en retour pour à nouveau alimenter de "sang neuf" le système tout entier. De façon générale, il s’agit donc de ce qui se trouve au centre. Au centre de l’émotion, du mouvement, de la motivation, de l’intention et c’est pourquoi il possède également ces différents sens ainsi que celui de force spirituelle. Shin représente donc la dimension spirituelle.

Gi
Le caractère Gi () signifie "main capable d’un travail aussi minutieux qu’une petite branche". Il s’agit de la technique, mais il faut la différencier du jutsu de jû-jutsu, par exemple. Dans le second cas, il s’agit de techniques codifiées et traditionnelles transmises de maître à disciple sans ajout ni modification. Gi, lui, n’est ni la méthode, ni la "recette", mais la maîtrise de cette technique, par le travail, par la pratique. Il s’agit de l’habileté technique intériorisée. Ce même caractère peut également se lire "waza", que l’on retrouve notamment dans tokui-waza, le "spécial", ou plus exactement "la technique dont on a la connaissance la plus intime".

Tai
Le caractère Tai () (avant qu’il ne soit simplifié fin 1946) signifie "les os correctement organisés". Tai est le corps (Tai-otoshi), la dimension physique, le moteur du mouvement. Il est le moyen par lequel s’exprime le shin au travers de gi. Sa capacité de réponse à l’intention et d’adaptation à la situation dépendant du niveau de pratique. La répétition précise des mouvements, aussi bien des techniques que des habiletés techniques fondamentales sur de longues années permet d’entretenir et cultiver ce que l’on appelle "la mémoire du corps" ou karada no oboe.

Article de Yves Cadot parut dans Judo magazine 184 en mars 2000.


Ces trois principes Shin Gi Tai sont présents dans la culture des arts martiaux mais aussi dans les sports de manière générale au Japon. Ces trois principes accompagnent le pratiquant d’art martial tout au long de sa vie. Ils coexistent cependant dans des proportions différentes selon l’évolution du bûdôka (pratiquant de bûdô).

D’une manière un peu schématique on peut voir les choses de la manière suivante.
Lorsqu’on est jeune et peu expérimenté, la notion Tai qui représente le corps prend plus d’importance que les deux autres principes Shin et Gi.

A force de travail et de répétition des techniques, la notion Gi (la technique) va s’affirmer. Le pratiquant ne base plus sa pratique uniquement sur ses qualités physiques mais aussi sur l’efficacité de ses techniques. Une bonne technique est sensée tirer le meilleurs partie de son énergie. C'est-à-dire utiliser le minimum d’énergie pour obtenir un maximum d’efficacité. A ce stade, la notion Gi (technique) est prépondérante, la notion Tai (corps) vient en second plan et enfin la notion Shin (esprit) termine le cortège.

En vieillissant le pratiquant voit ses capacités physiques diminuées. S’il a pris soin de faire évoluer sa pratique de façon à ce que son efficacité ne dépende pas uniquement de ses qualités physiques, alors il peut encore parcourir un chemin important. Il doit pour cela transcender la technique et passer au stade Shin où l’esprit prend alors la place d’honneur. L’esprit, le cœur ou la conscience apportent une autre dimension à la pratique et à la vie en général. Avec cette notion vient aussi l’intuition. Pour affronter la mort qui arrivera à un moment ou un autre, que ce soit lors d’un combat ou tout simplement par la vieillesse, la technique n’est pas suffisante. Trouver la sérénité, ne plus donner d’importance à l’Ego, dépasser la dualité, retrouver l’innocence d’un nouveau né, ce sont là quelques expériences que peut vivre le pratiquant qui atteint ce niveau. Certains, comme le maitre Ueshiba (créateur de l’aikidô) disent que l’homme s’unit avec le cosmos. Sa force ne vient alors ni du corps, ni de la technique, mais de l’univers. Le corps physique n’est alors qu’un canal qui relie la terre et le ciel. Très peu de personnes arrivent à atteindre un tel état mais chacun peut en tout cas commencer à avancer sur ce chemin. Quelle que soit la destination, l’aventure commence par un premier pas. Il n’existe aucune méthode, aucun protocole qui puisse garantir d’atteindre le stade ultime. On peut l’atteindre très jeune mais aussi jamais.

Si les trois principes évoqués ci-dessus Shin, Gi, Tai nous viennent de l’enseignement des arts martiaux, ils peuvent être appliqués dans la vie quotidienne et pour n’importe quelle pratique qu’il s’agisse de sport, d’un métier, des tâches diverses. Shin, Gi, Tai forment une trinité qui propose à tous une clé pour accéder à l’harmonie.

Tai c’est le corps et son respect. C’est notre maison, c’est notre ancrage mais aussi notre intimité. Notre corps nous permet de nous centrer mais aussi d’être incarné. On peut aussi dire que c’est l’aspect matériel des choses.

Gi c’est la technique, ce sont les actions que nous faisons pour atteindre un objectif que ce soit au quotidien, au travail, dans nos relations, etc. Ce sont les chemins que nous empruntons. Ces chemins peuvent parfois nous emmener loin de notre maison, nous écarter du Tai. Lorsque nous lâchons prise, le Tai a moins d’importance. Nous avons suffisamment développé notre force intérieure pour ne pas craindre d’aller vers l’extérieur, faire de nouvelles expériences. Nous pouvons donc progressivement nous détacher de la vision matérialiste. On comprend alors que le moyen n’est pas un but.

Shin c’est l’esprit, le cœur, mais aussi l’intention. Nous ne pouvons pas avancer sans une réelle intention. C’est donc elle qui nous fait aller de l’avant. C’est l’esprit qui nous conditionne à la réussite, c’est aussi lui crée notre réalité. Il ne faut pas confondre l’esprit et le mental. Le mental peut être un frein qui empêche l’esprit de se manifester. En revanche nous avons besoin de ce même mental pour valider nos expériences et progressivement faire confiance aux manifestations de notre esprit, de notre intuition. A ce stade nous ne voyons pas le monde uniquement à travers nos yeux mais aussi grâce au cœur. On accède au monde de l’invisible. C’est le stade du détachement, du lâcher prise, du dépouillement.

Ainsi Shin Gi Tai propose une voie pour tous, pratiquants d’arts martiaux ou non. La pratique d’un art martial ne peut pas se résumer à donner des coups, en recevoir ou savoir se défendre. La vie ne peut pas non plus se résumer à travailler, manger, procréer et dormir. Shin Gi Tai nous montre une voie qui nous permet par l’expérience unique et individuelle de transcender la matière et d’atteindre ce que certains pourront appeler en fonction de leurs croyances : le bonheur, l’harmonie, le divin.

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